J’ai des amis qui ne sont pas normaux.

Ou plutôt pas dans la norme.

Ou plutôt hors norme.

Et qui rêvent, que dis-je qui fantasment leur ego si seulement il avait été « normal ».

Si j’avais pu, si on m’avait laissé me bercer plus longtemps, si seulement je pouvais… être normal, ou juste un peu plus normal..  Toute érosion étant la bienvenue, la très bienvenue, l’improbable sauveuse.

Mais bien sûr, être normal, simple. Ce serait tellement, tellement plus simple, justement.

Quoi ! ça ne va pas ? tu n’es pas content, tu veux redistribuer les cartes ? mais pourquoi donc ?

Mais parce que !!!

Parce que c’est si compliqué parfois ma vie, et puis les gens, les autres, le monde, et moi qui ne vaut guère peu, et du moche, du mal fini, du bouffi, de l’éternellement insuffisant, sans sens sans honnêteté sans élégance sans colonne vertébrale sans rien qui vaille, sans ami à qui pouvoir ne pas mentir … parce que ma tête pèse un trou noir que rien ne saurait combler, parce que je suis las et déplacé.

Et là, là, s’offre vicieuse, l’idée du masque : du maquillage en plus savant, plus intégrant, et du théâtre pour prétendre être du monde ne serait-ce qu’un peu, s’y délaver à force, pour enfin être moins.  

Du masque très appliqué et très investi, mais maladroit malgré tous les efforts car pour bien singer il faut connaître et comprendre et peut-être aussi aimer un peu mieux ce que l’on mimique.

Du masque très appliqué et très investit, et souvent à côté…. But wait… il est surtout très étriqué ce masque, on s’y ennuie en fait…

Et oui mon chéri, tu ne tiens pas dedans.

Et puis parlons vrai, tu voudrais VRAIMENT, renoncer à : 

Les senteurs au point de l’ivresse ; 

La brise comme une idée qui t’éfleure tout entier, 

Ta main ta peau qui vibrent plus vite plus fort plus tendre ;

Les goûts clivants mais quand on aime ce ne devrait pas pouvoir être tiède ;

Les ciels plus nuit, les couchants plus apocalyptiques, les levers de début du monde qui éclaboussent ton âme ;

Ton imagination débordante, inspirée, joueuse, irrespectueuse ;

N’importe quel sujet qui t’en ouvre tant d’autres, tous azimuts à l’infini ;

Ton bordel intérieur exubérant ; ta créativité hors-sol ; tes lancer de ponts impromptus ; tes liaisons dangereuses ; ta prolixité intellectuelle ; ta soif inépuisable ; ta curiosité ; ton enthousiasme ;

… ;

Ta richesse, ta vraie et unique richesse : TOI.

Vous renier toi et tout ça pour être épargné : de tes sens et de ton coeur si susceptibles ; d’être – quel navrant exploit – toujours trop et jamais assez ; de toutes ces choses et tous ces gens qui t’agressent sans même – c’est un comble – y avoir mis d’autre talent que celui d’être ce qu’ils sont, en somme sans le moindre effort ; de ton empathie dévorante ; des tes neurones effrénés ; de ton immense lassitude ; de voir si clair le monde qui court connement, tellement connement à sa perte et les manipulateurs si évidents mis au pouvoir par des cohortes d’imbéciles même pas heureux ; des malaimables ; des malveillants ; des arrogants sans vertu ni vergogne ; des flemmards intellectuels qui fustigent les questionnants, ces salopeurs de molle conscience ; … J’y passerai la nuit que je manquerai de papier sans pour autant atteindre le minimum syndical d’un cahier de doléance digne de ce nom …

Mais ça mon petit gars, cette tentation du désespoir, aussi élégamment que tu puisses l’habiller, tu n’y couperas pas. Pas avec un masque, ni du conditionnel passé. C’est ton lot, l’ironique pendant de tes capacités. Ton salut n’est pas dans leur rejet, dérisoire geste qui ne saurait te dispenser de tes abîmes, il est dans leur embrassement pour au moins ne pas te priver de tes sommets : Accueilles-toi, mon frère mon ami, pour ce que tu es, entièrement, et enfin trouver non pas une normalité boiteuse, mais mieux, tellement mieux : ton équilibre augmenté.

(with love)

Ps : le masculin l’emportant encore en langue française, tout est à lire en incluant le féminin, en somme je ne conjugue ni au masculin ni au féminin, je parle à l’humain, constituant parfois estimable de l’humanité.